Lettre du Fr Charles-André Poissonnier

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                                                                                              Marrakech, 27 sept. 1931

Révérend et bien cher Père,

C'est, je crois la dernière lettre que je vous adresse de Marrakech même: tout me laisse espérer en effet que dans un mois je serai installé dans mon poste de Tazert, dont la photo ci-jointe vous donne une vue toute récente: 20 septembre. Le bâtiment de garde, terminé, est le dispensaire où je travaillerai; celui de droite, en construction, sera la maison d'habitation. La chapelle, qui n'est pas encore sortie de terre, lui sera accolée. Tout donc continue à bien marcher. Du côté du gouvernement rien à signaler. D'ailleurs je suis fort: le papier que m'a donné le pacha de Marrakech "m'autorise à bâtir un dispensaire sur ses terres pour le soin des malades de Tazert et environs". Appelé par lui-même on ne pourra me dire que je l'ennuie par ma présence. Je crois donc, pour l'instant, être tranquille de ce côté. d'ailleurs je continuerai à descendre de temps en temps dans la plaine pour desservir quelques centres (?) de colons.

J'espère qu'à Tazert j'aurai rapidement pris contact avec les indigents: depuis deux mois que je fréquente ce centre, je commence à être connu. Impatiemment on attend l'arrivée du "Toubib" dont on attend merveille. Je suis d'ailleurs moins sûr qu'eux de ce résultat merveilleux.

Personnellement j'attends impatiemment le jour où je pourrai installer Notre Seigneur dans son Tabernacle…. Puissé-je ne jamais oublier qu'avant tout je serai là pour être le gardien du Saint-Sacrement, chargé de prier Notre Seigneur de l'adorer au nom de milliers d'infidèles qui l'entoureront.

Pour remplir mon rôle en ce sens il faudrait que je sois une âme qui aime ardemment. Il me semble au contraire que je suis de plus en plus froid, distrait dans mon oraison. Je continue cependant à la faire, mais que vaut-elle? Tandis que je vois autour de moi des âmes si belles, si aimantes parmi celles que le Bon Dieu ma demandé de conduire. Je pense souvent à l'âme de Balaam, chargé par Dieu de faire connaître à son maître ses divines volontés, lui qui n'était qu'une bête. Et pourtant je vous assure, mon Père, que je voudrais bien aimer Dieu davantage et m'unir intimement à Lui. Qu'est-ce donc qui m'en empêche? Je sors de ma retraite annuelle sans avoir vu clairement ce qui m'était obstacle, alors j'ai repris , -pour la quantième fois?- la résolution de me remettre plus souvent et nettement en présence de Dieu hôte de mon âme, avant mes actions.

Je ne vois guère d'autres moyens pour me préserver de ces mouvements spontanés d'envie, de jalousie, de vanité, d'impureté qui jaillissent dans mon pauvre cœur. Je n'ai sous la main personne à qui je sois porté à m'ouvrir à fond. J'espère que le Bon Dieu aura pitié de moi.

Adieu bien cher Père; tardivement je demande de vos nouvelles: avez vous été comme de coutume aux eaux? Etes vous bien reposé? Pour ma part j'ai payé mon tribut, assez durement, à l'été: gros accès de fièvre ce qui épuise littéralement. Mais les chaleurs sont maintenant passées: on commence à respirer. 

Bien cher Père je me recommande instamment à votre prière: j'ai confiance en elle: je vous ai dit ce que je demandais à Dieu, ce que j'espérais de sa miséricorde: de l'aimer plus. Aidez-moi, comme autrefois, je vous prie, à l'atteindre. De votre côté, comptez sur ma très pauvre prière et croyez moi votre toujours filialement uni en JESUS et Marie.

F. Charles André Poissonnier, ofm